Les réponses de la Congrégation pour la doctrine de la foi à quelques questions posées par la Conférence épiscopale américaine sur l'alimentation et l'hydratation artificielles ont été publiées. Elles ont été approuvées par le Saint-Père Benoît XVI à l'audience générale accordée au préfet du dicastère, le cardinal William Levada.

En voici le texte, suivi de la "note de commentaire" officielle.

REPONSES A QUELQUES QUESTIONS SUR L'ALIMENTATION ET L'HYDRATATION ARTIFICIELLES

1/ L'administration de nourriture et d'eau (par des voies naturelles ou artificielles) au patient à l'"état végétatif" est-elle moralement obligatoire, à moins que ces aliments ne puissent être assimilés par le corps du patient ou être administrés sans causer un malaise physique important ?

Réponse : Oui. L'administration de nourriture et d'eau, même par des voies artificielles, est par principe un moyen ordinaire et proportionné de conservation de la vie. Elle est donc obligatoire, dans la mesure où et tant qu'elle atteint son but, qui consiste à procurer l'hydratation et l'alimentation du patient. De cette façon on évite les souffrances et la mort dues à l'inanition et à la déshydratation.

2/ Si la nourriture et l'hydratation sont fournies par des voies artificielles à un patient "à état végétatif permanent", peuvent-ils être interrompus quand les médecins compétents jugent avec certitude morale que le patient ne récupérera jamais sa conscience ?

Réponse : Non. Un patient à l'état végétatif permanent est une personne, avec sa dignité humaine fondamentale, à laquelle sont dus par conséquent les soins ordinaires et proportionnés, qui comprennent, par principe, l'administration d'eau et de nourriture, même par des voies artificielles.

Le Souverain Pontife Benoît XVI, au cours de l'Audience accordée au Cardinal Préfet soussigné, a approuvé les présentes Réponses, décidées par la Session ordinaire de la Congrégation, et en a ordonné la publication.

Rome, le 1er août 2007, au siège de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

William Cardinal Levada

Préfet

Angelo Amato, S.D.B.

Archevêque tit. de Sila

Secrétaire

***

Les réponses de la congrégation sont accompagnées d'une longue Note de commentaire, rédigée par la même Congrégation, qui expose le magistère de l'Église en la matière, en partant du discours du pape Pie XII à un congrès d'anesthésiologie du 24 novembre 1957. Les réponses de la Congrégation pour la doctrine de la foi aux questions se placent donc dans la ligne des documents du Saint-Siège. En voici le texte intégral :

NOTE DE COMMENTAIRE

LA CONGREGATION pour la doctrine de la foi a formulé une réponse à deux questions, présentées par Son Excellence Mgr William S. Skylstad, président de la Conférence épiscopale des États-Unis, dans sa lettre du 11 juillet 2005, concernant l'alimentation et l'hydratation des patients qui tombent dans l'état appelé communément "état végétatif". L'objet de se questions est de savoir si l'alimentation et l'hydratation de ces patients, surtout lorsqu'elles sont administrées par voies artificielles, ne constituent pas une charge excessivement lourde pour ces derniers, pour leurs proches ou pour le système de santé, au point de pouvoir être considérées, même à la lumière de la doctrine morale de l'Église, comme un moyen extraordinaire ou disproportionné, et donc non obligatoire sur le plan moral.

En faveur de la possibilité de renoncer à l'alimentation et à l'hydratation de ces patients, on invoque souvent le Discours du pape Pie XII du 24 novembre 1957 à un Congrès sur la réanimation. Dans son propos, le pontife réaffirmait deux principes éthiques généraux. D'une part, la raison naturelle et la morale chrétienne enseignent que, en cas de maladie grave, le patient et les personnes qui le soignent ont le droit et le devoir d'effectuer les soins nécessaires pour conserver sa santé et sa vie. D'autre part, ce devoir comprend en règle générale uniquement l'utilisation des moyens qui, tenant compte de toutes les circonstances, sont ordinaires et qui n'imposent pas une charge extraordinaire pour le patient ou pour les autres personnes. Une obligation plus sévère serait trop lourde pour la majorité des personnes et rendrait trop difficile la réalisation de biens plus importants. La vie, la santé et toutes les activités temporelles sont subordonnées aux fins spirituelles. Naturellement, ceci n'interdit pas de faire plus que ce qui est strictement obligatoire pour conserver la vie et la santé, à condition de ne pas manquer à des devoirs plus graves.

Tout d'abord, il faut noter que les réponses données par le pape Pie XII se référaient à l'utilisation et à l'interruption des techniques de réanimation. Mais le cas présenté n'a rien à voir avec de telles techniques. Les patients en "état végétatif" respirent spontanément, digèrent naturellement les aliments, ont d'autres fonctions métaboliques et se trouvent dans une situation stable. Ils ne parviennent pas cependant à s'alimenter tous seuls. Si on ne leur administre pas artificiellement de nourriture ni des liquides, ils meurent ; la cause de leur mort n'est pas alors une maladie ou à l'"état végétatif", mais uniquement le fait de l'inanition et de la déshydratation. D'autre part, l'administration artificielle d'eau et de nourriture n'impose pas généralement une lourde charge, ni au patient, ni aux proches. Elle ne comporte pas de coûts excessifs ; elle est à la portée de tous les systèmes de santé de niveau moyen ; elle ne requiert pas de soi l'hospitalisation et elle est proportionnée pour atteindre son but : empêcher le patient de mourir d'inanition et de déshydratation. Elle n'est, ni n'entend être, une thérapie résolutive, mais un soin ordinaire pour la conservation de la vie.

À l'inverse, ce qui peut constituer une charge notable est le fait d'avoir un proche en "état végétatif", lorsque cet état se prolonge dans le temps. Cette charge est comparable aux soins donnés à un tétraplégique, à un malade mental grave, à un patient en stade avancé de la maladie d'Alzheimer, etc. Ces personnes ont besoin d'une assistance continue durant des mois, voire des années. Mais, la règle énoncée par le pape Pie XII ne peut être interprétée, pour des raisons évidentes, dans le sens selon lequel il est alors licite d'abandonner à eux-mêmes les patients dont les soins ordinaires imposent une lourde charge à leur famille, les laissant donc mourir. Ce n'est pas en ce sens que le pape XII parlait de moyens extraordinaires.

On doit pouvoir appliquer aux patients en "état végétatif" la première partie de la règle énoncée par le pape Pie XII : en cas de maladie grave, on a le droit et le devoir d'appliquer les soins nécessaires pour conserver la santé et la vie du patient. Le développement du magistère de l'Église, qui a suivi de près les progrès de la médecine et les doutes qu'ils suscitent, le confirme pleinement.

La Déclaration sur l'euthanasie, publiée par la Congrégation pour la doctrine de la foi, le 5 mai 1980, fait la distinction entre les moyens proportionnés et ceux qui sont disproportionnés, et la distinction qui existe entre les traitements thérapeutiques et les soins normaux dus au malade : Dans l'imminence d'une mort inévitable malgré les moyens employés, il est permis en conscience de prendre la décision de renoncer à des traitements qui ne procureraient qu'un sursis précaire et pénible, sans interrompre pourtant les soins normaux dus au malade en pareil cas (IVe partie). A fortiori, on ne peut interrompre les soins ordinaires pour les patients qui ne se trouvent pas en danger de mort imminente, comme c'est généralement le cas pour ceux qui sont en "état végétatif", pour lesquels ce serait précisément l'interruption des soins ordinaires qui provoquerait la mort.

Le 27 juin 1981, le Conseil pontifical Cor Unum a publié un document ayant pour titre : Questions éthiques relatives aux malades graves et aux mourants. Dans ce texte, il est notamment affirmé : Demeure, par contre, l'obligation stricte de poursuivre à tout prix l'application des moyens dits "minimaux", c'est-à-dire ceux qui, normalement et dans les conditions habituelles, sont destinés à maintenir la vie (alimentation, transfusions sanguines, injections, etc.). Les interrompre signifierait en pratique vouloir mettre fin aux jours du patient (n. 2.4.4).

Dans son Discours du 15 novembre 1985 adressé aux participants à un Cours international d'aggiornamento sur les préleucémies humaines, le pape Jean-Paul II, se référant à la Déclaration sur l'euthanasie, affirmait clairement qu'en vertu du principe de la proportionnalité des soins, on ne peut se dispenser de la tâche thérapeutique capable de soutenir la vie, ni de l'assistance par des moyens normaux de soutien de la vie , parmi lesquels se trouve assurément l'administration de nourriture et de boisson. Il souligne que les omissions qui ont pour but d'abréger la vie pour épargner la souffrance au patient ou à ses proches , ne sont pas licites.

En 1995, le Conseil pontifical pour la pastorale des services de la santé a publié une Charte des agents de santé. On y affirme de manière explicite au n. 120 : L'alimentation et l'hydratation, même administrées artificiellement, font partie des soins normaux toujours dus au malade quand ils ne sont pas dommageables pour lui : leur suspension sans raison peut avoir le sens d'une véritable euthanasie.

Le Discours de Jean-Paul II du 2 octobre 1998 à un groupe d'évêques des États-Unis d'Amérique en visite ad limina est largement explicite : l'alimentation et l'hydratation sont considérées comme des soins normaux et des moyens ordinaires pour la conservation de la vie. Il est inacceptable de les interrompre ou de ne pas les administrer si une telle décision doit entraîner la mort du patient. On serait en présence d'une euthanasie par omission (cf. n. 4).

Dans le Discours du 20 mars 2004, adressé aux participants à un Congrès international sur "les traitements de soutien vital et l'état végétatif. Progrès scientifiques et dilemmes éthiques", Jean-Paul II a confirmé en des termes très clairs ce qui était affirmé dans les documents cités ci-dessus, en en donnant aussi l'interprétation appropriée. Le pape soulignait les points suivants : Pour indiquer la condition de ceux dont l'"état végétatif" se prolonge pendant plus d'un an, le terme d'état végétatif permanent a été créé. En réalité, cette définition ne correspond pas à un diagnostic différent, mais simplement à un jugement conventionnel de prévision, relatif au fait que la reprise du patient est, statistiquement parlant, toujours plus difficile au fur et à mesure que la condition d'état végétatif se prolonge dans le temps (n. 2) [1].

Face à ceux qui mettent en doute la "qualité humaine" des patients en "état végétatif permanent", on doit réaffirmer que la valeur intrinsèque et la dignité personnelle de tout être humain ne changent pas, quelles que soient les conditions concrètes de sa vie. Un homme, même s'il est gravement malade, ou empêché dans l'exercice de ses fonctions les plus hautes, est et sera toujours un homme, et ne deviendra jamais un "végétal" ou un "animal" (n. 3).

Le malade dans un état végétatif, dans l'attente d'un rétablissement ou de sa fin naturelle, a donc droit à une assistance médicale de base (alimentation, hydratation, hygiène, réchauffement, etc.) et à la prévention des complications liées à l'alitement. Il a également le droit à une intervention de réhabilitation précise et au contrôle des signes cliniques d'une éventuelle reprise. En particulier, je voudrais souligner que l'administration d'eau et de nourriture, même à travers des voies artificielles, représente toujours un moyen naturel de maintien de la vie, et non pas un acte médical. Sa mise en œuvre devra donc être considérée, en règle générale, comme ordinaire et proportionnée, et, en tant que telle, moralement obligatoire, dans la mesure et jusqu'au moment où elle montre qu'elle atteint sa finalité propre, qui, en l'espèce, consiste à procurer une nourriture au patient et à alléger ses souffrances (n. 4).

Les documents précédents sont repris et interprétés dans le sens suivant : L'obligation de ne pas supprimer "les soins normaux dus au malade dans des cas semblables" (Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration sur l'euthanasie, IVe partie) comprend également le recours à l'alimentation et à l'hydratation (cf. Conseil pontifical "Cor Unum", Questions éthiques relatives aux malades graves et aux mourants, n. 2.4.4; Conseil pontifical pour la Pastorale des Services de la Santé, Charte des agents de la santé, n. 120).

L'évaluation des probabilités, fondée sur les maigres espérances de récupération lorsque l'état végétatif se prolonge au delà d'un an, ne peut justifier éthiquement l'abandon ou l'interruption des soins de base au patient, y compris l'alimentation et l'hydratation. La mort due à la faim ou à la soif est en effet l'unique issue possible à la suite de leur suspension. Dans ce sens, elle finit par prendre la forme, si elle est effectuée de façon consciente et délibérée, d'une véritable euthanasie par omission (n. 4).Par conséquent, les réponses que donne maintenant la Congrégation pour la doctrine de la foi se situent donc dans la ligne des documents du Saint-Siège qui viennent d'être cités et, en particulier, du Discours de Jean-Paul II du 20 mars 2004. Il contient deux enseignements fondamentaux. On affirme, en premier lieu, que l'administration d'eau et de nourriture, même par des voies artificielles, est en règle générale un moyen ordinaire et proportionné pour la conservation de la vie des patients en "état végétatif" : Elle est donc obligatoire dans la mesure et jusqu'au moment où elle montre qu'elle atteint sa finalité propre, qui consiste à hydrater et à nourrir le patient. En deuxième lieu, on précise qu'un tel moyen ordinaire de soutien vital doit être assuré même aux patients qui tombent dans un "état végétatif permanent", puisqu'il s'agit de personnes, avec leur dignité humaine fondamentale.

En affirmant que l'administration de nourriture et d'eau est moralement obligatoire en règle générale, la Congrégation pour la doctrine de la foi n'exclut pas que, dans certaines régions très isolées et extrêmement pauvres, l'alimentation et l'hydratation artificielles ne puissent être matériellement possibles, et alors ad impossibilia nemo tenetur. Toutefois demeure l'obligation d'offrir les soins minimaux disponibles et de procurer, si possible, les moyens nécessaires pour un soutien vital convenable. Par ailleurs, on n'exclut pas que, en cas de complications, le patient ne réussisse pas à assimiler la nourriture et la boisson ; leur administration devient alors totalement inutile. Enfin, on n'écarte pas de manière absolue la possibilité que, dans quelques rares cas, l'alimentation et l'hydratation artificielles puissent comporter pour le patient une excessive pénibilité ou une privation grave au plan physique lié, par exemple, à des complications dans l'emploi d'instruments.

Ces cas exceptionnels n'enlèvent cependant rien au critère éthique général, selon lequel l'administration d'eau et de nourriture, même par des voies artificielles, représente toujours un moyen naturel de conservation de la vie et non un traitement thérapeutique. Son emploi devra donc être considéré comme ordinaire et proportionné, même lorsque l'"état végétatif" se prolonge.

[1] La terminologie relative aux diverses phases et formes de "l'état végétatif" est sujette à discussion, mais cela n'a pas d'importance pour le jugement moral.

[Texte original : français]. Source : Fides

■ Réagissez ! Envoyez votre avis à Décryptage