Poursuivie pour l'assassinat de sa fille handicapée, Lydie Debaine a été condamnée en appel à deux ans d'emprisonnement avec sursis. Elle avait été acquittée en première instance.

C'ETAIT LE 9 AVRIL. L'énoncé du verdict d'acquittement par la cour d'assises de Pontoise avait été salué par des applaudissements, choquant nombre de parents d'enfants handicapés et d'associations. Lydie Debaine avait pourtant reconnu avoir donné la mort de manière préméditée à sa fille de 26 ans, Anne-Marie. Lui administrant dans un premier temps plusieurs comprimés d'anxiolytiques, elle l'avait finalement noyée dans une baignoire.

Née prématurément en 1978, Anne-Marie contracte une méningite foudroyante qui la laissera infirme motrice cérébrale. Les médecins la déclarent handicapée à 90 %. Lors du procès, son avocate avait plaidé l'acquittement en insistant sur le caractère compassionnel du meurtre, Mme Debaine n'ayant cessé d'évoquer son geste comme un acte d'amour .

Le signal lancé à l'opinion par cette décision judiciaire fut sévèrement critiqué et c'est fort logiquement que le procureur général de la Cour de Versailles avait interjeté appel d'un verdict qui pourrait être compris comme un encouragement à l'atteinte volontaire à la vie des handicapés qui méritent notre protection et notre soutien . Le magistrat avait conclu que l'acte de Lydie Debaine ne peut être accepté en l'état du droit français, de nos valeurs éthiques et des principes qui fondent la vie en société .

 

L'exact contraire de la compassion
L'acquittement revenait en effet à dépénaliser ce que certains ont appelé l'homicide par compassion. L' amour endosse ici les habits d'une clause justificative qui permet de ne pas qualifier l'acte d'assassinat et de ne pas l'imputer à son auteur. On ne délibère plus sur la signification de l'acte en lui-même – un meurtre –, mais sur les motivations qui ont conduit à l'exécuter, ici la compassion ou l'amour, dit-on. Pourtant, l'authentique compassion, comme son étymologie le dit bien (pâtir avec) ne commande-t-elle pas justement de ne point nous dérober devant la vulnérabilité d'autrui ? Éliminer l'autre parce qu'il souffre ou est porteur d'un handicap est bien l'exact contraire de la compassion qui sombre corps et âme une fois que l'objet sur lequel elle s'exerce – un être humain à qui est dû un respect inconditionnel – a été supprimé . N'y a-t-il pas là une contradiction entre les mots et les faits ?
Avec en toile de fond l'idée que certaines vies ne valent pas la peine d'être vécues et par voie de conséquence ne méritent pas la protection de la justice des hommes. C'est ni plus ni moins la reconnaissance que dans certaines situations la mort est préférable à la vie, discours qui porte en soi une logique redoutable de discrimination. N'est-il pas dangereux d'envoyer ce message à une société dont chacun sait bien qu'elle a de plus en plus de mal à accepter des personnes qui n'ont pas la santé radieuse et la performance éblouissante définies par nos canons utilitaristes ?
Devant les risques de dérives et les discours d'exclusion actuels, l'Instruction Dignitas personae rappelle avec force que les personnes malades et les handicapés ne forment pas une catégorie à part :

Si, à d'autres époques, tout en acceptant généralement le concept ainsi que les exigences de la dignité humaine, on a pratiqué la discrimination pour des motifs de race, de religion ou de statut social, on assiste aujourd'hui à une non moins grave et injuste discrimination qui conduit à ne pas reconnaître le statut éthique et juridique des êtres humains affectés de graves maladies et handicaps [...]. La maladie ou le handicap font partie de la condition humaine et concernent tout le monde à titre personnel, même quand on n'en fait pas l'expérience directe (n. 22).

 

La peine libératrice
Le jugement de la cour d'assise du Val d' Oise laissait entendre que chacun pouvait continuer à vivre comme si rien ne s'était passé et que tout acte peut être en définitive pardonnable si l'intention est louable. Le sociologue Patrick Baudry, auditionné par la récente mission Leonetti, faisait remarquer à propos de l'affaire Debaine :

Je ne suis pas persuadé qu'il faille toujours comprendre le malheur des autres et ne pas sanctionner, même symboliquement. La peine infligée par un juge a une vertu : elle indique clairement qu'on ne peut pas tuer autrui impunément. Et je pense même que la sanction a une fonction d'aide pour la personne qui comparaît. Cela lui permet d'être décollée de son acte, d'en voir la portée resituée par la justice. Alors que trop vite excusée, trop vite comprise, elle risque de rester prisonnière d'un geste qui l'a dépassée (La Croix, 11 avril 2008).

Le vrai coupable : l'isolement
Rappeler l'interdit civilisateur du meurtre ne signifie cependant pas vouloir accabler une femme dont les délibérations ont mis en avant le profond désarroi. Si Anne-Marie avait été accueillie tant bien que mal dans des structures spécialisées jusqu'à l'âge de 22 ans, l'absence de place dans un centre adapté avait contraint par la suite sa mère à quitter son travail pour s'en occuper à plein temps. L'aggravation de l'état de santé de la jeune fille, qui se manifestait par des crises convulsives, des vomissements et de violentes céphalées, avait-elle conduit Lydie Debaine à perdre pied ? A-t-elle seulement été épaulée dans sa lourde tâche ?

Comme le soulignaient Sophie et Damien Lutz, porte-parole du Collectif contre l'handiphobie, derrière le drame de cette femme et de sa fille, c'est la société tout entière qui ne leur a pas porté suffisamment secours qui doit se remettre en question [1]. La loi handicap du 11 février 2005 [2] a essayé de répondre en préconisant l'instauration de structures de répit qui permettent à des parents qui s'occupent quotidiennement d'enfants lourdement handicapés de les confier quelque temps (un jour par semaine ou quelques jours de vacances) pour souffler et reprendre un peu d'énergie (La Croix, 11 avril). C'est d'ailleurs une mesure qui figure dans les conclusions du rapport Leonetti pour les familles qui souhaitent accueillir à domicile un de leurs proches en fin de vie. Beaucoup s'accordent à dire qu'une vraie volonté politique doit maintenant concrétiser ces bonnes intentions.

Pour toutes ces raisons, la cour d'appel de Versailles a rendu la justice avec humanité en prononçant une peine d'emprisonnement avec sursis qui tient compte de la personnalité de l'auteur, des circonstances et des exigences de la loi. Considérant le contexte de détresse et d'épuisement moral auxquels était parvenue Mme Debaine, les jurés ont voulu faire preuve de mansuétude. Mais ils ont rappelé également que donner la mort à une personne handicapée ne saurait demeurer impuni et constituait une transgression que la société n'excusait en aucun cas. Nul ne saurait désormais l'ignorer.

 

 

[1] Zenit, 23 avril 2008. Tout en ajoutant : Cette décision enfonce chacun dans sa part d'ombre. Un sursaut est nécessaire pour ne pas glisser dans la confusion. Les personnes handicapées ont besoin d'être sûres que leur vie est autant protégée que celle d'une personne en bonne santé. Cf. Liberté politique.com. http://www.libertepolitique.com/le-fil/55-france/4870-le-prix-humanisme-chretien-2008-a-sophie-lutz
[2] Loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

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