Source [Atlantico] : La Commission d’enquête sur la souveraineté énergétique de la France comme le débat sur les retraites ont jeté une lumière crue sur la manière dont les responsables politiques s’assoient sur la rigueur, les (vraies) expertises ou les études d’impact.
Atlantico : Que ce soit sur l’énergie, les retraites, l'inflation ou encore l’insécurité, le gouvernement semble pris en flagrant délit d'amateurisme ou d'approximations. Quels sont les exemples les plus marquants de ces dernières semaines ?
Charles Reviens : La question inclut une bonne dose de jugement de valeurs et il me semble utile de sérier les exemples dans au moins trois catégories.
Il y a d’abord les critiques et les oppositions que peuvent susciter la posture politique du gouvernement. On peut évoquer l’exemple de l’enterrement d’études sur la relance du nucléaire par Nicolas Hulot et son cabinet. L’opinion s’est certes retournée sur ce point avec la récente crise énergétique, mais il ne faut pas oublier que la réduction du nucléaire dans le mix énergétique français a été trois fois (gouvernement Jospin lors de la 3ème cohabitation, mandat de François Hollande et premier mandat d’Emmanuel Macron) le prix a payé pour avoir le soutien des verts ou des écologique. Le projet de « panier anti-inflation » rentre également dans cette catégorie puisque le gouvernement cherche une martingale contre la hausse des prix et sa pression sur les producteurs et les distributeurs de produits alimentaires reçoit également sa volée de bois vert.
Il y ensuite les fiascos de communication ou de « pédagogie ». Le récent rapport de l’UEFA sur les troubles de la finale Real de Madrid-Liverpool au Stade de France éreinte ainsi la posture de Gérald Darmanin dont l’argumentation sur « les supporters anglais » est apparue rapidement hasardeuse. Dans la même veine il y a la polémique de la « retraite à 1 200 euros » évoquée lors de l’examen de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale sur laquelle le gouvernent a du revoir sa copie et massivement réduire ses chiffres.
Il a enfin des enjeux de performance de gestion publique. La dernière livraison de Fipeco nous rappelle le niveau exceptionnellement élevé des dépenses publiques françaises sans surperformance particulière, bien au contraire. Il y a eu l’arrêt d’un nombre massif de tranches nucléaires, et une accumulation de faits qui conduisent Jérôme Fourquet à constater dans un papier du Figaro que les crises à répétition constituent des manifestations du déclassement français.
William Thay : Emmanuel Macron avait adressé aux parlementaires de la majorité « soyez fiers d’être des amateurs » lors du précédent quinquennat, et il apparait que ce Gouvernement n’a pas réellement pris la mesure de la situation sur plusieurs sujets clés. Je pense notamment à l’épisode du stade de France, à la politique énergétique et à la réforme des retraites qui sont les exemples les plus marquants.
Tout d’abord, la politique énergétique avec notamment la fermeture de Fessenheim n’est uniquement le fait d’Emmanuel Macron et de son Gouvernement, puisque cela repose d’abord sur un accord électoral entre les verts et François Hollande lors de l’élection de 2012. Malgré tout, la commission d’enquête à l’Assemblée nationale révèle le rôle clé d’Emmanuel Macron et de ses différents gouvernements dans la mise à mal de notre parc nucléaire avec le maintien de la fermeture de certaines centrales nucléaires ainsi que le refus de renouveler le parc existant par la construction d’EPR. Ainsi, l’audition de Nicolas Hulot révèle la faiblesse de l’approche gouvernementale depuis 2017 qui agit sur beaucoup de sujets avec finalement un biais idéologique reposant sur une certaine croyance populaire plutôt que sur les faits et la rationnalité. Cela pourrait être un sujet mineur si cela n’avait pas conduit à la mise à mal d’un joyau français et de notre souveraineté énergétique. De plus, sur ce point, beaucoup d’erreurs ont été commises notamment sur le marché européen de l’électricité, la relation énergétique avec l’Allemagne, la dépendance française à l’égard de certains pays, etc.
Ensuite, la réforme des retraites dans sa deuxième monture a démontré que le Gouvernement agit sans véritablement savoir où il souhaite aller. Emmanuel Macron avait déjà souhaité réformer notre système de retraite avant la crise sanitaire pour opérer une réforme systémique pour mettre en place un système à point. Que l’on soit pour ou contre cette proposition, elle avait le mérite d’apporter une nouveauté dans le débat public. Seulement, il avait fait face aux oppositions des différents corps constitués qui ne voulaient pas perdre leur spécificité de régime dans l’unification d’un seul avec des contraintes dans les différents métiers. Dans la deuxième version proposée depuis le début de l’année, le Gouvernement n’a pas réussi à proposer un récit clair sur pourquoi il souhaitait réformer les retraites. De plus, les différents revirements sur plusieurs sujets comme les retraites minimales, les femmes, etc. ont conduit à un doute dans l’opinion publique.
Enfin, la finale de la ligue des champions et le fiasco du stade de France a conduit à l’humiliation du pays devant des milliards de téléspectateurs. Cela a démontré l’incapacité de la France à organiser un grand événement sportif et nous amène à des interrogations à l’approche de la coupe du monde de rugby qui est organisée en France cette année ainsi que les Jeux Olympiques de 2024. De plus, sous l’égide de Gérard Darmanin, le Gouvernement n’a pas totalement donné une version factuelle des événements afin de couvrir sa propre responsabilité dans cet échec.
Qu’est-ce qui peut expliquer que les responsables politiques se retrouvent dans ces situations ? Pourquoi transigent-ils si facilement avec la rigueur et la vérité ?
Charles Reviens : Comme vu précédemment il faut séparer les questions de positionnement politique qui traduisent une ligne politique suscitant critique ou adhésion des enjeux de performance des responsables politiques en matière de communication, de gestion opérationnelle ou d’anticipation des difficultés à venir.
La gestion « technique » des réformes est un sujet majeur souvent sous-estimé par des responsables politiques pour lesquels les enjeux de communication et de posture dominent tous les autres. Pourtant l’histoire politique française récente est remplis de réformes abandonnées ou échouées : réforme Juppé de 1995, contrat première embauche de Dominique de Villepin en 2006 et plus récemment la réforme de la retraite à points lancée en 2019 où les manifestations étaient massives avant même qu’un projet de loi soit déposé.
William Thay : Tout d’abord, je pense que les responsables politiques actuels font face à une situation qui est beaucoup plus difficile que les décideurs publics d’il y a quelques décennies pour plusieurs raisons. Lorsque vous êtes en responsabilité, et cela s’est accéléré avec le quinquennat et l’avènement des chaines d’informations en continu, le temps politique s’est accéléré sans que le besoin de réponse et de solutions se soit réduit dans le même laps de temps. Ainsi, les différents responsables politiques « pour exister » sont invités à proposer une mesure choc lors d’une actualité ou d’un fait divers. Seulement, il est difficile de proposer la meilleure solution lorsque vous disposez d’un temps de réflexion court, et que vous n’avez pas le temps de travailler le sujet. De plus, privilégier une réponse de long terme souvent plus efficace pour apporter une solution viable aux Français et au pays n’est pas plébiscité dans les enquêtes d’opinion ou auprès des journalistes politiques.
De la même manière, le contexte est différent lorsque vous êtes un responsable politique français. Ainsi, vous n’avez pas les mêmes pouvoirs réels qu’un ministre du Général de Gaulle par exemple. L’État a perdu progressivement une partie de ses compétences en matière monétaire, économique, migratoire vis-à-vis de l’Union européenne. Ainsi, un ministre d’une de ces thématiques ne peut agir seul, sans solliciter la coordination des autres États membres de l’UE, ce qui affaiblit sa capacité alors que le niveau d’exigence de la part de la population en termes de résultat reste important. On peut ajouter que l’avènement des crises de plus en plus récurrentes ne facilite pas la tâche des responsables actuels.
Enfin, de façon particulièrement notable sous Emmanuel Macron, c’est l’avènement de la culture de l’irresponsabilité. Vous trouvez à chaque reprise dans la parole publique une raison extérieure qui justifie un échec. Si l’économie ne va pas bien, c’est la faute de la crise, du peuple ou d’un autre pays. Si telle ou telle politique publique n’a pas fonctionné, c’est la faute de quelqu’un qui l’a mal appliqué, etc. Vous ne trouvez ainsi presque aucune remise en cause de la part de ces responsables.
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