Le moins qu'on puisse dire est que le grand emprunt populaire annoncé à grand fracas par le chef de l'État à Versailles le 22 juin 2009 ne fait pas l'unanimité. Les uns soulignent qu'il vient aggraver un déficit courant de l'État déjà abyssal ; les autres que cet argent coûtera plus cher, d'environ 2 %, que celui auquel l'État trouve aujourd'hui sur les marchés financiers.

Sur le plan de la procédure, le fait que le Parlement soit tenu à l'écart des réflexions sur son utilisation est critiqué, à commencer par les parlementaires eux-mêmes.
Quant au fond, son utilisation est, elle aussi, problématique. Deux ex-Premiers ministres, inspecteurs des finances l'un et l'autre, Michel Rocard et Alain Juppé, phosphorent pour faire des propositions à ce sujet. Les nouvelles règles de la concurrence européenne interdisent de l'employer directement à des investissements industriels, comme on le faisait dans les années cinquante et soixante, ce qui aurait sans doute été préférable ; or nos équipements publics sont déjà luxueux par rapport à ceux d'autres pays, grâce notamment à des collectivités locales qui ne regardent guère à la dépense. L'investissement immatériel, préférable dans une économie avancée, peut être source de gaspillages. Au demeurant la formation, puisque c'est d'abord de cela qu'il s'agit, ne devrait-elle pas être financée par les recettes ordinaires plutôt que par l'emprunt ?
Est-ce sous le feu de ces critiques que le montant de l'emprunt projeté se dégonfle au fil des jours ? Juppé vient de parler de 20 à 35 milliards d'euros seulement, soit à peine plus que le seul déficit courant de la Sécurité sociale.
Il est vrai que si cet emprunt est d'un montant limité et avantageux pour le public, il sera souscrit en très peu de temps, ce qui permettra de le faire apparaître comme un grand succès politique, selon une méthode déjà expérimentée par Édouard Balladur, Premier ministre, et Nicolas Sarkozy, ministre du Budget à l'automne 1993.
Il se peut donc que la montagne accouche d'une souris.
Il y aurait pourtant bien des choses intéressantes à faire avec un grand emprunt. Nous en mentionnerons deux qui n'ont guère émergé dans le débat public.
Pour les jeunes générations
La première aurait été, quand la Bourse était au plus bas — ou si elle rechute — de doter un fonds qui achète massivement des titres pour le compte des caisses de retraite du régime général.
Non point que nous pensions que la capitalisation soit la panacée en la matière. Mais un peu de réserves permettraient tout de même d'alléger les charges faramineuses qui pèseront bientôt sur les jeunes générations, en raison de la démographie. Il y a longtemps qu'il aurait fallu faire une opération de ce genre ; il est trop tard pour la faire à grande échelle. Mais un peu vaut mieux que rien, et tard mieux que jamais.
Puisque la puissance publique a le temps devant elle, autant qu'elle achète des titres quand la Bourse est au plus bas. Ceux qui en ont à vendre ne s'en plaindront pas. Les titres les plus sûrs à racheter seraient ceux des grands services publics privatisés récemment : sociétés d'autoroute ou de télécommunications, aéroports. Par un étonnant paradoxe, c'est aux fonds de pension des États-Unis, d'un pays encore plus endetté que le nôtre, que, pour combler nos déficits, nous les vendons aujourd'hui !
Faut-il préciser que le gouvernement n'a pas du tout pris cette direction ? Un fonds de réserve pour les retraites, doté aujourd'hui de 30 milliards d'euros, avait été créé en 2004 et confié à la Caisse des dépôts. On n'a rien trouvé de mieux que de le mettre à contribution en 2008 pour réduire un peu les déficits courants alors que c'est évidemment le contraire qu'il eut fallu faire.
 
Une autre utilisation possible d'un grand emprunt national serait de consolider une partie de la dette de l'État de telle manière que le jour où l'euro se disloquera et où la nouvelle monnaie nationale se dévaluera de 20 ou 30 %, la charge d'emprunt pesant sur le budget n'en soit pas aggravée d'autant.
Tous les économistes sérieux en conviennent : la rupture de l'euro est inévitable compte tenu du déficit croissant de la balance des paiements de la France et de la plupart des autres pays de la zone, en dehors de l'Allemagne. En régime classique, un tel déséquilibre se termine par une dévaluation. L'euro nous donne un large sursis, mais, faute d'un improbable redressement, nous ne faisons que reculer pour mieux sauter : un jour ou l'autre l'ajustement se fera. La Grèce est déjà au bord de la rupture.
Veiller à ce que d'une manière ou d'une autre les titres de l'État français soient entre les mains de nationaux serait en l'état actuel de choses une sage précaution. Cela impliquerait naturellement un emprunt d'un montant plus significatif que celui dont il est question aujourd'hui.
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