Des centaines de lettres et de mails de parents de professeur et même de chefs d'établissement nous sont parvenues à la suite des articles publiés sur les prises de position de Mgr Cattenoz.

La quasi-totalité de nos correspondants remercient l'archevêque d'Avignon de dire tout haut ce qu'ils ne peuvent que penser tout bas. La lettre que nous reproduisons ci-dessous témoigne de cette nécessité de libérer les directeurs et les équipes pédagogiques du carcan centralisateur de l'enseignement catholique et de courir le risque de la liberté. Elle dit aussi que les difficultés soulevées par la charte d'Avignon sont en nous-mêmes. L'école catholique est un lieu d'apostolat dans lequel les laïcs ne sont pas suffisamment engagés. Faut-il encore ne pas décourager les plus convaincus. Th. B.

P:first-letter {font-size: 300%;font-weight: bold;color :#CC3300; float: left}JE VOUDRAIS SOULIGNER un élément très occulté du débat relatif au caractère propre des établissements catholiques : ces établissements sont libres. Qu'est-ce que cela signifie ?

Enseignant chez les maristes de Lyon, engagé dans le cadre de la Communion missionnaire des Éducateurs, mouvement qui vise à promouvoir l'engagement de chrétiens dans l'école, coordinateur d'une collection d'ouvrages d'enseignement religieux, on comprendra que je partage totalement l'intention de Mgr Cattenoz de dynamiser la vie chrétienne et la vocation missionnaire des établissements catholiques. Je reste cependant perplexe à l'égard du contexte implicite de sa prise de position.

 

En effet, une réflexion sur l'identité chrétienne des établissements catholiques ne peut faire l'impasse sur la première condition d'une vitalité spirituelle: la liberté des personnes et des institutions. Il n'y aura d'établissements catholiques vivants que si ces établissements sont d'abord des établissements libres.

 

Les grandes intuitions éducatives dans l'histoire de l'Église ont été le fait d'hommes audacieux, et inventifs et non pas de structures (aussi catholiques soient-elles); elles ne sont pas nées de chartes ni de circulaires ou de "projet pédagogiques" mais d'hommes libres, porteurs d'intuitions diverses, adaptées à des situations très variables: l'éducation jésuite n'est pas l'éducation lassallienne, etc.

 

La loi Debré incriminée par certains a pourtant sauvé les établissements catholiques de l'asphyxie financière, tout en leur permettant d'assumer leur "caractère propre". Que certains ne l'aient pas fait, tel est bien le lot de la liberté; pas de liberté dans risque. (Il faut rappeler que dans cette loi, il est question du caractère propre de chaque établissement et non des établissements catholiques pris dans leur ensemble.)

 

En l'espace de quarante ans, la raréfaction des tutelles congréganistes a favorisé un nouveau centralisme contre l'esprit de la loi Debré, sous les espèces des directions diocésaines. Celles-ci n'ont eu de cesse de s'approprier les responsabilités incombant aux chefs d'établissements, jusqu'à celle décisive du recrutement des enseignants. Or comment susciter une "communauté éducative" si chacun – depuis le directeur jusqu'à l'enseignant — perçoit sa situation comme le produit d'un hasard administratif et d'une décision anonyme ?

 

Le tournant décisif a été pris par les accords Lang-Cloupet (1994): le recrutement a priori des enseignants du "privé" par le biais du Cafep permettait à la nouvelle structure "catholique" de centraliser les affectations: aujourd'hui, on commence à échanger les candidats entre diocèses, le système catholique centralisé est bien en marche... Alors que chacun s'accorde à reconnaître l'inanité du système public, voici que l'enseignement catholique en imite les tares les plus évidentes. Bref, sous couvert de promouvoir le caractère catholique des établissements, on leur confisque leur liberté !

Comment ne pas voir qu'aujourd'hui encore les établissements les plus dynamiques au plan spirituel sont ceux qui ont refusé cette mainmise administrative et, contre vents et marées, continué à recruter leurs enseignants de façon autonome ? Pourquoi ne pas en tirer une leçon claire, que confirme le sens théologique: on ne rendra pas des établissements "plus catholiques" en les privant de leur liberté ! Si l'acte de foi est bien l'accomplissement de la liberté humaine, et si l'éducation consiste bien à éveiller, accompagner une liberté, de quel éveil seront capables des enseignants bureaucratisés, fonctionnarisés de cœur et d'esprit, quand bien même ils seraient de bons catholiques ?

Au lieu de décourager méthodiquement la responsabilité des éducateurs, il convient dans l'enseignement public comme privé de les rendre à la noblesse de leur mission: pour cela restituer la liberté éducative à ceux qui sont les vrais acteurs de l'éducation scolaire: les professeurs et les chefs d'établissements.

Que font les catholiques ?

Vingt ans d'engagement sur le terrain au service de la foi dans l'école, de nombreuses rencontres avec des enseignants, me permettent d'ajouter ceci par rapport aux doléances de certains catholiques sur l'absence de vitalité des établissements confessionnels:

 

Ce manque de vitalité a aussi pour raison le manque d'engagement, de générosité, de courage des susdits catholiques engagés dans ces établissements.

Un enseignant chrétien invisible de ses collègues, absent des temps de rencontre où se jouent les relations qui tissent un corps professoral, n'a pas le droit de se plaindre d'une pastorale défectueuse ou d'un état d'esprit laïcard: qu'il soit présent à ses collègues, qu'il soit un enseignant compétent autant qu'une force de proposition spirituelle, qu'il invente au moins un temps de prière avec la poignée de croyants de l'école...! Il est trop facile de se retrancher derrière la nostalgie d'une époque où "les religieux étaient présents" et d'attendre que l'école devienne unanimement catholique avant de retrousser ses manches et se compromettre soi-même. Le fameux apostolat des laïcs est loin d'être honoré dans les écoles. Or existe-t-il un lieu plus éminent où la tâche professionnelle peut rencontrer l'appel à servir l'homme dans toutes ses dimensions ?

Que les enseignants chrétiens soient des hommes libres et des disciples audacieux, alors non seulement les écoles catholique redécouvriront leur mission de façon organique, mais l'enseignement public lui-même, rongé par le nihilisme, connaîtra grâce au petit noyau de croyants souvent admirables qui l'ont résolument choisi comme lieu de témoignage, une renaissance inattendue.

 

 

* Xavier Dufour est professeur de l'enseignement catholique, docteur en philosophie, auteur de Enseigner, une œuvre spirituelle (Parole et Silence, 2006.)

Pour en savoir plus :? Le choc de la charte d'Avignon

? Le cri de Mgr Cattenoz sera-t-il entendu ?

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