Faute de grives, on mange du coq. Il y a un an, j'écrivais ici même que le festival de Cannes était devenu sous la houlette de Gilles Jacob et de ses successeurs un scandale permanent. Films malsains, mal dans leur peau, œuvrettes naturalistes, nombrilistes, autant de gaspillage d'argent public et des chaînes trop lâches pour résister aux mafias de réalisateurs et de producteurs organisés en réseaux.

La minable démagogie culturelle se fait en outre au milieu des cerbères, d'hôtels à dix mille euros la suite et d'affaires de mœurs : voilà pour la forme. Sur le fond, il y a quelques années, on interdisait Eric Rohmer, cinéaste français le plus connu dans le monde, au motif que son chef-d'œuvre l'Anglaise et le Duc n'était pas de gauche... Il y a deux ou trois ans, le jury bien gauchiste couronnait un film d'amateur sur l'analphabétisme multicolore de nos classes de banlieues.
La culture étant morte, on pourrait s'en ficher. Et je m'en fiche. Cannes est tombée dans l'anonymat crétin de la post-histoire occidentale, elle le reflète. C'est un évènement, un marronnier qui dure dix jours comme les départs en vacances ou la rentrée des classes, ou les prix littéraires qui n'intéressent plus personne. Mais la France, elle, est-elle si morte ?
Et il se trouve que Cannes est sortie de son insignifiance ontologique par un scandale : en vantant les mérites d'un opus noyant la France dans la boue. Le film justement baptisé Hors-la-loi présente les Français et les colons d'Algérie comme des nazis. Je me souviens certes que l'on avait accordé il y trente-cinq ans la palme d'or aux Chroniques des années de braise de Lakhdar Amina, film qui dénonçait le comportement français lors de la guerre d'indépendance , et qui d'ailleurs ne manquait pas de qualités épiques : mais Chroniques était un film militant – le mot avait un sens noble à l'époque – et surtout un film algérien.

Là, nous sommes en face d'un film français qui nous crache dessus.
Même les députés UMP, qui se réveillent enfin — à la veille d'une prochaine débâcle électorale ? — se sont mis de la partie pour dénoncer le scandale en question. Deux mille personnes se sont déplacées à Cannes, plus que les foules de paparazzi venues filmer des stars dépassées par la mort du cinéma, deux mille personnes qu'une certaine idée de la France , et de l'Algérie française surtout, tient encore vivantes. Et qui savent que non, désolés, nous n'étions pas des nazis en Algérie. Le FLN, oui messieurs, fut un parti de voyous, de tueurs et de voleurs, et l'est resté, et nous n'étions pas des nazis.
Même le plus sot des internautes peut relire l'Étranger de Camus ; et se rendre compte que ce livre légendaire et fondateur de la nullité post-historique raconte l'exécution d'un Français d'Algérie auteur de l'assassinat... d'un Arabe ! Pas d'un Allemand, d'un Arabe... Alors je dis : si ce livre, l'Étranger de Camus, qui est le roman le plus lu du monde scolaire et du monde tout court, raconte un mensonge historique, lui, qu'attend-on pour l'interdire ? Qu'attend-on même pour le brûler en place publique au nom des droits de l'homme ?

Mais revenons à Cannes. Il y a des décennies que ce festival de pieds cassés festoyant aux frais de l'Oréal, ne m'intéresse plus. On n'est plus à l'époque de Godard (allez découvrir le Petit Soldat !), Bergman ou Fellini. Et comme dit Nietzsche, on en reste aux œuvres qui ont fait leurs preuves, et j'en reste donc aux Espions, à la Règle du Jeu ou à Alexandre Nevski, qui lui est un film antinazi, et qui annonce en 1938 ce qui va se passer en 1941 en Europe de l'Est (ce n'est pas un navet qui crache sur de l'histoire révisée, c'est un chef-d'œuvre prophétique, vous saisissez la différence, messieurs les jurés ?).
Et ce qu'il y a d'intéressant dans le festival de Cannes, cette fois, c'est que deux mille Français aux tempes grises ont pu montrer qu'un film, surtout un navet, c'est parfois plus qu'un film ; et que la haine tordue et devenue inconsciente de la France peut encore rencontrer des obstacles. On remerciera les manifestants de Cannes de nous l'avoir démontré. Quant à moi, si je m'étais rendu à Cannes, c'eût été pour maudire comme Panurge le Robin des Bois de Ridley Scott, autre opus... gallophobe. Tous ces sots de cinéastes finiront par me rendre mon amour pour mon pays.

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