Aix-en-Provence, 16 juin : Parler d’éthique autour de l'oeuvre de Jean-François Mattei

Un an après la disparition du grand philosophe Jean-François Mattéi, un colloque à sa mémoire est organisé par ses amis universitaires à l’IEP d’Aix-en-Provence, le 16 juin. Un livre publié aux éditions Manicius en hommage à son œuvre sera présenté. À cette occasion, le professeur Jean-Yves Naudet revient sur les enseignements du philosophe, notamment lors des colloques d’éthique économiques auxquels il a participé de nombreuses fois.

Comment parler d’éthique aujourd’hui ?

IL EST IMPOSSIBLE de rappeler tout ce que Jean-François Mattéi nous a apporté et comment il a su faire évoluer la réflexion de chacun d’entre nous. Je soulignerai juste quelques points. Et d’abord ses mises en garde : « Ce n’est pas en effet en parlant sans cesse d’éthique qu’on changera quelque chose dans l’éthique des affaires. Vous noterez d’ailleurs que, moins il y a d’éthique véritable, c’est-à-dire de pratique réelle, plus on parle grec » (1994). « Les Grecs n’avaient pas à se demander s’ils devaient avoir une déontologie des affaires […] ; les Grecs disaient simplement : “Il faut faire ce que l’on doit faire.” » Bref moins de discours et plus d’actes.

L’éthique et la morale

À propos du vocabulaire, il nous rappelait bien sûr ce que chaque économiste sait, que oikia, c‘est la maison et donc que « ce que les Grecs appelaient oikonomikon » c’est « mot à mot, la loi qui doit régir la maison, la loi qui fait que les choses doivent être à leur place, dans une maison bien tenue » (1994). Mais il ajoutait : « Chacun parle aujourd’hui d’éthique, autre terme grec, pour le substituer au mot morale, qui a mauvaise presse. » Et morale « vient de mos-moris qui dérive lui-même du sanscrit “ma” qui définit précisément ce que l’on vient de dire, à savoir la mesure. [...] Éthos, au contraire, désigne une chose qui n’a apparemment rien à voir avec l’éthique des affaires, puisqu’il s’agit de l’habitation [...]. L’éthos, fondamentalement, c’est la manière dont l’homme habite le monde et donc à ce titre s’habite lui-même. »

Mais comment parler d’éthique aujourd’hui ? « Les spécialistes d’éthique en Europe ou aux États-Unis sont d’accord sur un point : toutes les éthiques traditionnelles se sont effondrées [...]. Même si elles continuent d’exister pour tel ou tel groupe, [...] toutes les éthiques, toutes les valeurs, comme on dit parfois encore, et peut-être même les enfants de ces valeurs que sont les idéologies, se sont effondrées. »

La mode des valeurs

Jean-François Mattei nous a mis souvent en garde contre ce terme à la mode de « valeurs », car pour lui les valeurs se cotent en bourse et fluctuent en permanence et le terme est donc mal choisi pour parler de ce qui devrait être stable. « Un principe ne se démode pas, une valeur se démode » (2013).

La question est donc : « Comment exercer des responsabilités — politiques ou économiques — dans une société où l’éthique est un simple discours rhétorique et non une pratique réelle partagée par des hommes obéissant à des convictions communes » (1994). Question redoutable face à une vision naïve de l’éthique des affaires, où beaucoup pensent qu’il suffit de quelques chartes éthiques pour régler la question, ou encore que l’éthique peut être un outil de gestion.

Revenir aux fondements

La crise est plus profonde, nous rappelait-il, puisqu’elle concerne la conception même de la vie de l’homme en société. D’où son retour permanent aux fondements, aux Grecs et aux Latins. Contrairement à nous, « ils ne visent pas un bien à partir d’une dimension subjective, mais posent ce bien à partir d’une dimension objective présente dans la réalité du cosmos » (1994). Et de faire appel à Platon pour rappeler que « l’éthique n’est rien d’autre que l’orientation naturelle que l’homme doit prendre par rapport au souverain bien ». Mais le bien « est transcendant ».

Aujourd’hui, « comment pourrions-nous fonder une éthique commune, stable au niveau des liens entre les hommes [...] sur quelque chose qui est précaire ? Autant construire sur du sable ». Or « il ne saurait y avoir d’éthique sans finalité ».

 

Jean-Yves Naudet est professeur à l'université d'Aix-en-Provence, président de l'Association des économistes catholiques.

INVITATION

Rencontre autour de l’ouvrage d’hommage consacré à Jean-François Mattéi
 

JFM-Homm

De Platon à Matrix, L’âme du monde (Ed. Manucius)

le mardi 16 juin 2015 à 18h à l’I.E.P. d’Aix-en-Provence
25, rue Gaston de Saporta – 13100 Aix-en-Provence
Amphi Bruno Étienne

En présence de trois des contributeurs Hervé Casini, Bernard Martocq et Jean-Yves Naudet qui évoqueront la mémoire et l’œuvre de Jean-François Mattéi.

Pour en savoir plus :
 http://amis.jfmattei.blog.free.fr/

 

 

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