Déroute afghane

Après dix ans de guerre et d’occupation, la coalition conduite par l’Otan en Afghanistan se dirige inexorablement vers une issue semblable à celle de l’intervention américaine au Vietnam.

A croire que l’Histoire n’instruit guère : après avoir eu raison alternativement des Anglais et des Russes au cours des deux siècles passés, l’opiniâtre résistance afghane à toute présence étrangère se manifeste une nouvelle fois par une déroute, celle des Américains et de leurs alliés. Le sentiment antiaméricain n'a jamais été aussi fort dans la population en dix ans de conflit, à cause des bavures de l'Otan qui font régulièrement des victimes civiles, et de diverses affaires de profanations ou d’actes jugés blasphématoires à l’encontre de l'islam, comme en Irak.

Une nouvelle bourde américaine

A la longue liste des bourdes américaines depuis le début de l’invasion s’est ajoutée à la mi-février l’incinération d’exemplaires du Coran appartenant à des prisonniers, dans la base américaine de Bagram. Résultat : six jours d'émeutes et un attentat-suicide à la voiture piégée à l'aéroport de Jalalabad, importante base militaire de l'Otan dans l'est de l'Afghanistan (bilan général : une quarantaine de morts et environ 200 blessés). Par-dessus le marché, le 25 février, une dispute à propos des corans incinérés entre un policier afghan des services de renseignement du ministère de l'Intérieur et deux conseillers américains de l'Isaf, la force de l'Otan en Afghanistan, a servi de prétexte à leur assassinat par leur collègue afghan dans l'enceinte même du ministère de l'Intérieur, à Kaboul.

Pour les alliés, plus de sanctuaire

Même dans les zones hautement protégées, plus aucun occidental n’est à l’abri de connaître le même sort. Fin janvier, quatre militaires français avaient ainsi été abattus par traîtrise et quinze autres blessés par un soldat afghan alors que, faisant leur jogging, ils étaient désarmés et sans protection. Cela s’est passé sur la base de Gwan, dans la province de Kapisa (nord-est de Kaboul) où est déployé l’essentiel des soldats français. Un mois auparavant, le 29 décembre, l'armée française avait perdu deux légionnaires dans une attaque similaire : nos soldats avaient été tués délibérément par un soldat de l'Armée nationale afghane dont ils assuraient la formation dans la province de Kapisa. Depuis 2004, 82 soldats français sont tombés en opérations en Afghanistan dont 26 pour la seule année 2011.

Après le retrait de 400 de ses militaires ces six derniers mois, la France compte encore 3.600 soldats en Afghanistan (sur 115 000 pour l'ensemble des forces de la coalition). Elle doit en rapatrier de nouveau 1000 d'ici la fin 2012, le retrait de l'intégralité des forces étant prévu au plus tard en 2014. François Hollande a promis d’accélérer le mouvement, mais quel que soit le vainqueur de la présidentielle, tout porte à croire que ce calendrier sera écourté. Car désormais, le taliban est redevenu partout chez lui en Afghanistan, jusque dans les lieux les mieux sécurisés à cause du « virus de l’infiltration » qu’a dénoncé à la BBC un général afghan en comparant son effet à celui d’un « cancer ». Déjà, l’Otan, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne viennent de retirer précipitamment leurs agents présents dans les institutions afghanes afin de les mettre en sécurité. 

Trois promesses non tenues

Dix ans d’intervention militaire en Afghanistan se soldent donc par un échec politique cuisant. Certes, l’intervention américaine initiale, menée moins d’un mois après les attentats du 11 septembre 2001sur le sol américain, avait détruit les camps d'entraînement d'Al-Qaïda basés en Afghanistan  et permis au Tadjiks et Ouzbeks de l'Alliance du Nord de  chasser les talibans de Kaboul quelques semaines plus tard. Mais au lendemain de ce succès rapide, trois grandes promesses avaient été faites à la face du monde lors de la grande conférence internationale sur l'Afghanistan réunie à Bonn le 5 décembre 2001 : reconstruire le pays, le développer économiquement et, cerise sur le gâteau supposée en être la clé de voûte, le démocratiser. S’étant saisi de ces idées plaisantes, le gouvernement français de cohabitation (Chirac président, le socialiste Védrine ministre des Affaires Etrangères) se mit à la remorque des Américains en envoyant les premiers soldats français en Afghanistan dès 2002.

Mais comme c’était à prévoir, aucune des trois grandes promesses de la conférence de Bonn n’a été tenue, ainsi que l’a pertinemment souligné dès le mois d’octobre Renaud Girard dans un article retentissant (Le Figaro du  19/10/2011). Dix ans ont passé, plus de 2850 militaires étrangers et au moins 12 000 civils (dont plus de 3000 l’an dernier, un record !) ont perdu la vie, plus de 400 milliards de dollars ont été dépensés (dépenses militaires et civiles), et les talibans sont depuis longtemps revenus de leur sanctuaire pakistanais. On connaît la suite. « Faute de proximité culturelle, concluait Renaud Girard,  l'Otan n'a réussi ni à conquérir les cœurs et les esprits de la population rurale, ni à convaincre l'entourage du président Karzaï de renoncer à la corruption, ni même à former une armée afghane unie, capable de se battre toute seule. Aujourd'hui, même la vieille stratégie de sortie du «Declare victory and run» [on se proclame victorieux et on fiche le camp NDLR] n'est plus possible pour l'Otan en Afghanistan. »

Depuis ce verdict, la « talibanisation » progressive d’une partie des soldats afghans travaillant au contact des camps occidentaux a jeté la panique. Il y a donc tout lieu de craindre que l’aventure afghane s’achève pour la coalition conduite par l’Otan par un échec cuisant comparable à celui de l’armée américaine au Vietnam.